• TADDEUS CORGOHAN

     

    Lorsque son élève lui demanda leur destination, Taddeus n'eut pas le cœur à la lui avouer. Il s'attendait à une île située à l'autre bout de la Baie, à un long voyage par delà les mers et les océans. Il n'en était rien. Le Général garderait pour lui le secret jusqu'à leur embarcation. Et c'était avec un brin de malice qu'il découvrirait l'air décontenancé de Sagamore lorsqu'il comprendra que l'île vers laquelle ils faisaient voile, était, pour sûr, la moins exotique de toute la Baie. « Si personne ne me dit où nous sommes attendus, comment vais-je savoir si je dois prendre vêtements chauds ou légers ? Pesta-t-il en tentant une nouvelle fois de soutirer des informations à son professeur. » Ce dernier lui conseilla d'emporter une veste chaude et des habits ordinaires comme s'il devait en porter dans les rues de Lance-Hillion. « Même si nous partons pour une mission officielle, nous devons rester discret. Et ne pas mentionner nos identités. Nous n'agissons pas au nom de l'Armée mais en mon nom. Toutes les insignes de l'Ordre ou signes extérieurs pouvant dévoiler notre rang sont bannis de ce voyage, est-ce bien clair, Sagamore ? »

     

    Le Concile avait du le lui rappeler plus d'une fois mais Taddeus ne cessait de lui répéter que cette nouvelle mission était loin de ressembler à toutes celles qu'ils avaient déjà accomplies depuis que Sagamore était son apprenti. Même s'ils prenaient leurs armes, la probabilité qu'ils s'en servent était quasiment nulle. D'ailleurs, il avait été surpris d'apprendre que Sagamore venait avec lui. Ce fut le Gardien Ephraem qui le lui avait annoncé en personne après une deuxième réunion avec le Concile.

    « C'est un voyage que vous deviez faire seul, Taddeus, mais votre apprenti manque clairement de recul sur tout ce qui a trait à la psychologie et à la symbiose entre l'âme et le corps. Son rite de Passage approchant, le Concile souhaite mettre toutes les chances de son côté pour qu'il ne le rate pas. Malgré son caractère impulsif et ses autres défauts, Sagamore Abbernaty est un très bon élément de l'Armée. Nous voulons qu'il s'améliore et comprenne qu'il ne faut négliger aucun aspect de sa vie pour espérer aller encore plus loin. »

    Taddeus n'avait pu qu’acquiescer. Son premier souhait était bien entendu de comprendre enfin ses cauchemars qu'il refaisait sans cesse. Mais il espérait aussi que son apprenti progresse et réussisse. Il le méritait. Plus que tous les autres.

    Il se souvenait du jour de la Répartition. Ce jour où, chaque Élève Gardien qui avait passé ses six dernières années à l'Académie à potasser cours théoriques sur cours pratiques devenait Apprenti et allait désormais continuer son éducation sur le terrain. Taddeus et Sagamore avaient alors sept ans de moins. Le premier parcourait les mers enchaînant mission sur mission, souvent couronnées de succès. Et le second faisait tout ce qui était en son possible pour rendre fou ses professeurs. C'était en 1845, la Baie était en pleine Guerre des Cents depuis prêt d'un an. Protéger et se battre aux côtés des soldats de la Reine était à l'époque son seul désir. Alors, lorsque le Concile lui imposa de prendre un apprenti, il ne fut pas enchanté à l'idée d'avoir sur le dos un élève sortant tout juste des bancs de l'école. « Chaque Gardien doit passer par la phase délicate de la transmission de savoir, lui rabâchait le Haut Gardien Fenick. » Il le savait pertinemment mais le monde était en pleine guerre, l'apprentissage sera donc plus difficile, plus contraignant. Plus violent. Le Général Corgohan, faisant partie de l'Armée, devait choisir un aspirant de sa branche. Et, comme ceux des Enfants du Temple, ils étaient rares. Dix, cette année-là, dont quatre descendants d'Ezekial. La méthode de recrutement n'avait pas différé de celle de son époque. Chacun des trois Maîtres Gardiens d'Eau susceptibles de former un apprenti avaient reçu les quatre dossiers des candidats. De ses dossiers, deux étaient plus épais que les autres. Celui d'un dénommé Fengus Fangory Fey, connu des professeurs et du Concile pour ses notes extraordinaires, sa discipline exemplaire et ses ancêtres prestigieux. Et celui de Sagamore Abbernaty se résumant à des couvre-feux non respectés, des fugues répétées, des chansons paillardes entonnées et des combats menés en état d'ivresse dans les couloirs de l'internat. En somme, s'il n'y avait pas mention de ses aptitudes exceptionnelles pour les méthodes de combat et le potentiel immense de son pouvoir élémentaire, Corgohan n'aurait même pas pris le temps de lire son dossier. Pour lui, avoir une discipline de fer était primordial chez les Gardiens et ce Sagamore était loin d'être un enfant de cœur. Après que les trois Maîtres Gardiens eurent pris connaissance des candidats, ces quatre derniers passèrent des tests d'aptitudes devant toute une assemblée. Le but étant d'impressionner le formateur que vous désiriez. Ayant un dossier aussi épais et élogieux que celui de Fangory Fey, Taddeus Corgohan avait lors de son jeune âge tout misé sur ce jour pour espérer être remarqué et choisi par le renommé Général Kravel. Lors de ce jour, l'un des plus importants de sa longue carrière, le jeune Taddeus n'avait pas raté sa prestation. En avait résulté, sept années d'apprentissage enrichissantes et exaltantes avec un mentor qu'il n'avait de cesse d'admirer.

    Comme les deux Maîtres Gardiens a ses côtés, Corgohan attendait de voir ce que Fangory Fey avait dans le ventre. Mais étrangement, lors des exercices tenant lieu d'épreuves, Taddeus n'avait d'yeux que pour ce Sagamore. Ce dernier savait pertinemment que personne n'était intéressé par son profil. Alors, il s'amusait dans son coin à se battre à l'épée contre un figurant sans grande prestance ou à tirer à l'arc en ratant de peu la cible. La Répartition était pour lui perdue d'avance, il serait bon pour retenter le coup l'année prochaine. Pourtant, Corgohan croyait en lui. Plus qu'en les autres. Il se leva de son siège, ne perturbant aucunement la discussion de ses congénères et descendit de l'estrade pour rejoindre l'élève défaitiste. « Vous et moi savons que vous n'êtes pas aussi médiocre que ce vous voulez bien nous montrer, avait-il dit alors qu'Abbernaty retirait mollement sa flèche de la cible.

    - Allons, pesta-t-il, vous comme moi savez que le seul que tout le monde va s'arracher demain matin n'est autre que Fengus Fangory Fey. Et à la rigueur, Camilla Hortez parce qu'elle a un sacré coup d'épée.

    - Vous semblez pessimiste.

    - Je crois en mes talents, Général. Eux, non, dit-il en regardant l'estrade.

    - Montrez-moi ce que vous avez dans le ventre, Abbernaty. »

    Il rejoignit ses compatriotes et réétudia longuement ce Sagamore. Ce dernier tenta quelque chose avec son pouvoir élémentaire mais personne dans la salle ne saisit ce qu'il essaya de faire. Lorsqu'il comprit qu'il avait échoué, Sagamore ne prit même pas le temps de saluer l'estrade et il partit de la salle, claquant sèchement la porte, passablement énervé.

    Abbernaty avait raison. Le lendemain matin, avant la cérémonie de la Répartition, deux des trois Maîtres Gardiens d'Eau s'arrachaient Fengus Fangory Fey. Corgohan lui, surprit tout le monde lorsqu'il énonça son choix. « Êtes-vous sûr, Général, cet Abbernaty est une tête brûlée.

    - Là où nous devons combattre, j'ai besoin d'un apprenti qui prenne des décisions, qui agit, qui n'a pas peur. Malgré tout ses défauts, je suis sûr que cet élève est celui qu'il me faut. »

    Il se souviendrait à jamais du regard interloqué de ce Sagamore lorsqu'il comprit qu'il n'avait pas été recalé et que les sept prochaines années, il les passerait sur le terrain avec Taddeus Corgohan. Ce dernier espérait qu'il n'avait pas fait le mauvais choix. Au fur et à mesure des années passées en mer, Taddeus comprit que non. Sagamore, loin des règles strictes et des murs de l'Académie, s'était épanoui. Et l'envergure de ses talents n'était désormais un secret pour personne. Son caractère de chien et son langage grossier refaisaient souvent surface. Mais Sagamore avait su gérer sa colère et son impulsivité, malgré quelques rares écarts que Taddeus rectifiait aussitôt. Il était devenu un très bon élément, si ce n'est le meilleur et le Général aimait voir son apprenti s'épanouir dans ce qu'il faisait. Il en était même fier.

     

    Ce sentiment de fierté disparut soudainement lorsque Corgohan vit son élève faire son apparition, fier comme un paon sur le quai, dans sa tenue de Gardien, bottes flambant neuves luisant sous le soleil matinal. « Ce n'est pas étonnant que l'Académie ait reculé ton rite de Passage à l'année prochaine. Tu manques cruellement de discipline, Sagamore, grommela le Général.

    - Mes bottes ne mettront la puce à l'oreille de personne.

    - Là où nous allons, elles seront remarquées.

    - C'est justement le problème, je ne sais pas où nous allons. »

    Contrairement à lui, qui ne portait qu'une chemise et un pantalon de toile beige, Sagamore avait gardé sa chemise blanche comme neige, son pantalon bleu-vert d'uniforme de l'Armée et ses fameuses bottes qui lui montaient jusqu'en haut des mollets. Rien de discret, en somme. De plus, sa carrure imposante, son teint bronzé, son chignon ébène, sa longue et fine tresse qu'il laissait danser derrière son oreille et ses marques dessinées sur son bras interpellaient facilement les regards. Même à Lance-Hillion, la ville la plus cosmopolite de la Baie au sein de laquelle cohabitaient des centaines d'origines différentes, sa dégaine ne passait pas inaperçue. « Vous êtes mécontent parce que, pour une fois, j'ai plus de classe que vous, sourit-il pour tranquilliser l'atmosphère. » Son air goguenard et son sens de l'humour à toute épreuve détendait souvent l'humeur tendue de Corgohan. Cette fois-là ne fit pas exception. Et puis, il n'avait pas le temps de se changer, le départ était prévu dans moins de dix minutes.

    En donnant rendez-vous à Sagamore sur le quai du port Nord de la Capitale, Corgohan avait donné un précieux indice sur leur destination. Ce plus petit des quatre ports n'accueillait et n'envoyait que les navires venant ou partant pour les Sept Îles entourant Lance-Hillion du Nord à l'Est. « Assez joué, Gronda Sagamore. Où allons-nous ? » Pour seule réponse, Corgohan lui tendit son billet d'aller et il ne manqua pas de relever son soupir d'ennui lorsqu'il lut « Sainlange ».

    « En effet, mes bottes seront remarquées là-bas, conclut l'élève d'un air dépité. »

    Corgohan n'avait eu l'occasion d'aller sur Sainlange que deux fois dans sa vie. Pourtant géographiquement proche de la Capitale, elle ne pouvait pas être plus éloignée par son mode de vie. Autant Lance-Hillion était bruyante, grouillant de monde et toujours en activité, autant Sainlange était un écrin de silence et de verdure, juchée sur des hautes falaises qui la rendait prisonnière des vents qui battaient ses plaines à longueur de saisons. Son climat particulier avait permis à l'île de cultiver deux espèces de fleurs qui ne poussaient nulle part ailleurs et qui valaient désormais une petite fortune puisque nobles et riches s'arrachaient leur parfum à très bon prix. La population restait cependant largement paysanne, se focalisant sur le travail, la religion et la famille, vivant ainsi loin des excentricités de sa grande Capitale.

    « Tu regrettes, n'est-ce pas, ta participation à cette nouvelle mission ? Demanda Corgohan à son apprenti, une fois installés sur le pont.

    - Le voyage ne fait que commencer. J'espère que vous me surprendrez. D'ailleurs, qu'allons-nous faire là-bas ? »

    Une loi tacite réglait la vie quotidienne des Gardiens. Peu parlaient de leur vie avant l'Académie, ou de leur famille. « Moins nous en parlons, moins ils nous manquent. » lui avait alors dit feu Gardien Venuzzi alors que Corgohan n'était encore qu'un élève. Depuis, dès qu'il pensait à ses parents, il se répétait la parole de Venuzzi pour se rasséréner un court instant. Même si Sagamore était quelqu'un qui ne posait pas de questions, lorsqu'il s'agissait de parler de famille, il semblait plus attentif et demandeur. Lui qui n'avait jamais connu ses parents, ni même des membres de son peuple, il redressait la tête à chaque fois qu'il entendait parler d'un père, d'une mère, d'un frère ou d'une grand-mère.

    « Je ne t'ai jamais parlé de mon grand-frère. » Comme prévu, Sagamore releva la tête, étudiant longuement son professeur. « Il n'avait qu'un an lorsque je suis venu au monde. Il est né en été alors que j'ai vu le jour en hiver. Il a toujours été porté sur l'ordre, la loi, la justice alors que j'aimais les combats, le terrain et l'aventure. Il a toujours été de nature solitaire, s'entourant d'animaux et de livres alors que j'ai toujours apprécié être entouré. Lui et moi avons toujours été l'exact opposé et pourtant, je l'ai toujours admiré et tant chéri. 

    « Talulah, ma mère, était une Singulière. Elle était héritière d'une famille aisée, les Gatling, qui ont fait fortune dans le tabac. Mon père, Taberius Corgohan, lui, était Gardien d'Eau, prédestiné à un avenir radieux au sein de la Garde, tout comme sa mère avant lui. Ils se sont rencontrés, se sont aimés et leurs familles respectives ont donné l'accord pour cette union. A l'époque, comme aujourd'hui, les mariages entre Singuliers et Gardiens étaient vus d'un bon œil, ce qui était loin d'être encore le cas, il y a un siècle. De ce mariage fructueux sont nés deux enfants. Mon frère, Taciil., puis moi. A la grande joie de nos parents, nous étions tous les deux Gardiens, héritant ainsi du pouvoir de notre père. Notre destin était tracé. Taciil et son goût pour la justice et la discipline rejoindrait la Garde d'Hillion à treize ans, comme notre père et nos ancêtres. Pour moi, ce fut un peu plus compliqué. J'avais longuement hésité entre l'Armée, par choix ou la Garde, par héritage. Mon frère et moi avons passé de formidables années à l'internat, malgré les devoirs et le travail que cela demandait d'intégrer l'Académie. Nous nous retrouvions tous les deux, sans nos parents. En plus d'un frère, Taciil était devenu mon meilleur ami malgré nos différences. Il me comprenait, me protégeait, m'aimait. Et c'était réciproque. Alors, lorsque Taciil choisit la Garde, c'est tout naturellement que je choisis l'Armée. Mon père fut ravi, l'un de ses fils suivrait le digne héritage de la famille tandis que le deuxième s'épanouirait dans l'armée. Que Taciil rejoigne la Garde était synonyme d'une vie de famille et donc d'assurer la descendance de notre lignée. Car qui dit rejoindre l'Armée, dit avoir une vie personnelle réduite à néant et le droit de s'unir à quelqu'un seulement une fois son engagement sur le terrain terminé. J'ai donc fait carrière dans l'Armée avec brio, soutenu lors de mon Apprentissage par le Gardien Kavrel. Mon frère fit de même au sein de la Garde. Pendant prêt de vingt ans, il gravit les échelons. Et devint bientôt le plus jeune Gardien à atteindre le grade de Capitaine de la Garde, s'assurant de ce fait un siège au sein du Concile. N'importe qui éprouverait de la jalousie, j'avais pour lui une admiration sans borne.

    « Jusqu'au jour où Taciil quitta ce monde dans lequel il avait grandi et mûri durant toute sa vie. Du jour au lendemain. Il annonça à nos parents qu'il abandonnait son statut de Capitaine et de Gardien. Ce soir là, mon père hurla comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Lui d'habitude si distant et réservé, entra dans une colère noire dont jamais il ne sortirait. Il renia alors son fils après avoir maintes et maintes fois demandé des explications qui ne vinrent jamais. Taciil fit part de sa décision au Concile : il quittait la Garde et l'Ordre, ce qui, comme tu le sais, est interdit. Alors, il saborda ses pouvoirs pour être sûr de ne pas être pourchassé par l'Ordre. Jamais, il ne m'expliqua la raison de ce revirement de situation. Il m'ordonna même de le laisser partir à la fin d'une terrible discussion dont chaque mot résonne encore dans ma tête.

    «  Ma mère est décédée il y a deux ans. Mon père, lui, vit encore avec sa mère, dans notre grande maison, dans le quartier Ouest. Il n'a jamais pardonné mon frère de nous avoir quitté. Il n'a même pas sourcillé lorsqu'il a appris sa mort alors que notre mère, loin d'être attachée aux traditions de l'Ordre, pleura des jours durant. C'était il y a quatre ans maintenant ... »

    Le Général resta quelques longues secondes en suspend, repensant longuement au visage de son grand-frère qui lui manquait tant. Sagamore restait muet, le regard grave, fixant l'horizon et le contour des îles qui se dessinait sur les vagues calmes. « Mon frère a vécu paisiblement à Sainlange tout le reste de sa vie. Il s'est marié à une fille native de l'île et a eu deux filles. Je ne les ai vu que deux fois, la dernière étant il y a déjà quatre ans. Il ne m'a jamais expliqué la raison de son soudain départ, il m'a juste dit : « Cela me peine de vous faire souffrir toi, Père et Mère mais, je devais partir. » Nous échangions quelques lettres. Tout ce que je sais, c'est qu'il avait l'air heureux. Il vivait au fin fond de la campagne, avec femme et enfants. Et ça lui suffisait amplement pour qu'il se sente comblé.

    - Tout de même, réagit enfin Sagamore. Abandonner tout cet héritage pour vivre à Sainlange, il faut le vouloir. »

    Son apprenti était loin d'avoir tort. Et c'est ce que se répétait Corgohan depuis plus de vingt ans. Qu'avait-il pu se passer pour que Taciil s'enfuit ainsi, allant même jusqu'à saborder son pouvoirs. Extrêmement rares étaient les Gardiens qui renonçaient définitivement à leur pouvoir élémentaire. Depuis le début de l'Académie, on avait du en recenser dix à avoir sauté le pas, tout au plus. Et son frère en faisait partie. Cela lui coûtait de se le dire mais il en avait honte. Au fil des années, Taddeus avait agi comme son père et avait préféré ne pas en parler, ne pas y penser. Comme chez tous les Gardiens, ce sujet était tabou. Avant cette conversation, il n'avait pas prononcé le prénom de Taciil depuis quelques années. « Pourquoi allons-nous sur Sainlange, si votre frère n'est plus ? » Taddeus n'éluda pas la question. Le Concile l'avait obligé à distinguer ce qu'il devait dire de ce qu'il devait garder pour lui. « Comme tu le sais, ses derniers jours, je ne suis plus aussi performant que je devrais l'être. Pour preuve, ma blessure au bras lors de notre combat contre le Ciel Noir. Le Concile s'est inquiété … Suis-je désormais trop vieux pour le terrain ? M'ont-il demandé. Bien sûr que non. Il se trouve que mes pouvoirs s'étendent. Ses hallucinations ou ses rêves éveillés, appelle les comme tu le veux, ne sont que des images de mon pouvoir de voyance qui se développe. Je dois apprendre à le contrôler. Mais pour cela, je dois avant tout le comprendre. Voilà, le but de notre voyage : comprendre mes visions et m'aider à avancer encore plus loin. Je dois comprendre ce cri de douleur de femme qui résonne sans cesse dans mon esprit, cette image de véritable brasier au dessus d'une forêt, ses rires d'enfants au cœur de la campagne, cette pierre d'un noir profond qui tourne sur elle-même avant de s'arrêter net, ces yeux étranges qui me fixent et me haïssent. Je dois faire le lien entre toutes ses images pour espérer aller plus loin … »

    Sagamore semblait subjugué par le long travail qui attendait son professeur. Lui qui n'était intéressé que par l'action et les combats, il commençait à comprendre que le rôle d'un Gardien n'était pas celui d'un simple combattant infaillible. Il devait aller bien au delà de ses acquis et défier ses pires démons. Lui aussi, tôt au tard, devrait faire le point et trouver des réponses aux questions qui, même s'il affirmait ne pas se les poser, le taraudaient la nuit, avant de s'endormir.

    Sagamore en avait appris plus lors de cette discussion que pendant les innombrables heures de cours à l'Académie. Il soupira, presque effrayé par la future tâche qui l'attendait. Mais il avait le temps avant de s'en faire. « Par où commencerez-vous ? Demanda alors le jeune Gardien.

    - Par le premier indice que j'ai réussi à comprendre. Par ses yeux qui me soutiennent avec une intensité d'une haine sans faille.

    - Et à qui appartient ce redoutable regard ?

    - A Sissario Corgohan, ma nièce. »

     

     

     

     


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